Je suis à trois jours de partir en solo pour une session carpe en bateau sur un grand lac et je reste toujours indécis sur la destination. Quatre fois par jour je surveille les prévisions météo annoncées pour la semaine suivante, car c’est bien elles qui vont définir mon choix final. Vendredi, l’avant-veille du départ, il faut absolument que je tranche définitivement pour que je finalise mon matériel. Du coup la météo annonce un vent quasiment nul pendant plus de six jours et le soleil sera au plus haut, rien de bien bon pour les lacs de l’Est, donc c’est décidé je descends sur un géant de la côte Ouest.

 

            Ce lac reste un vrai défi pour moi et m’y rendre me procure un mélange de sentiments que peu d’endroits m’offrent encore. Inconnu, recherche, calme, sérénité, espoir et doute font partie à chaque fois du voyage. C’est la cinquième fois que je m’y rends et hormis la dernière avec mon pote Olivier Boucher où nous avons commencé à mettre le doigt sur quelque chose, les fois d’avant non pas été très glorieuses.

Le lac est tellement démesuré par sa taille et les conditions extrêmes que l’on peut y rencontrer, que partir seul pour une pêche en bateau cabine peut s’avérer réellement dangereuse et un peu folle surtout en solitaire. Mais je souhaite avant tout exploiter et confirmer ou non ce que l’on a découvert avec Olivier. Ce dernier n’étant pas disponible ces derniers temps, je ne me voyais pas partir avec quelqu’un d’autre. Et puis, je dois aussi avouer que j’aime la solitude et me retrouver seul me fera le plus grand bien. 

Difficile de cacher son bonheur

RETROSPECTIVE 

 

            En 2020 avec Oliv nous avons effectué une pêche de quinze jours sur ce géant, la météo avait été très difficile et le vent ne nous avait pas facilité la tache nous clouant ainsi la plupart du temps au bord. Nous avons mis ce temps à profit pour préparer une zone qui semblait plus propice que les autres, dans nos têtes en tout cas. Au sixième jour alors que nous étions toujours sans la moindre touche, le vent était tombé subitement nous laissant enfin la possibilité de partir à bord de notre bateau en direction de la zone promise. 

            Nous prenons rapidement nos marques et les lignes sont tendues sur leurs spots respectifs. Cette première nuit a été pour nous comme une délivrance avec une joie commune indescriptible qui restera à jamais gravée en nous. Certes nous n’avons pas capturé le poisson que nous sommes venus chercher, mais faire un doublé dont une miroir atypique des lieux sur cette zone où l’on croyait tant et après toutes ces nuits infructueuses à se poser mille questions ont fait que ce moment a été très spécial. 

La récompense pour Olivier
Un poisson typique du lac

Le temps me permettra de faire encore quatre nuits sur ce secteur et seulement deux pour Olivier qui doit me quitter au milieu de cette deuxième semaine. Pour lui le compteur s’arrêtera là et moi j’aurai la chance de faire un énorme brochet un matin en ramenant un de mes montages, puis je ferai un poisson d’un peu plus de 18 kilos qui aura la malice de s’échapper de mon sac flottant. L’avant dernière nuit je referai un doublé avec une petite commune et une miroir incroyable d’un peu moins de 24 kilos qui m’enverra directement au paradis. Lors de la mise à l’épuisette l’émotion ressentie était tellement forte face à ce grand poisson dans mon filet que j’étais comme un gamin face au père Noël. Il manquait juste mon ami pour encore intensifier l’instant présent. 

            Les dernières vingt-quatre heures de cette session ont été en revanche très frustrantes puisque le vent avait décidé de se remettre à souffler et ainsi me forcer à rejoindre le bord. Par deux fois j’ai tout de même tenté l’impossible mais j’ai dû me résoudre à passer ma dernière nuit au bord. Au petit matin rien n’avait bougé et j’ai tout rangé à l’aube, puis rejoins le port en traversant un lac déchainé. 

Surprise du matin
Une commune peu banale pour moi
Une récompense à la hauteur de mes efforts

2021, LES VOYANTS SONT AUX VERTS

 

            Je ne me suis pas fait prier lorsque j’ai vu que la météo n’annonçait quasiment pas de vent de la semaine pour y retourner. Certes le pari était un peu fou car si on prend en considération l’immensité et le faible taux de poisson à l’hectare c’est quasiment aller au casse-pipe. Mais je m’en moque, l’objectif est simple, un poisson de plus de vingt-cinq kilos dans la semaine et le contrat sera rempli. 

            8h30 de voiture plus tard me voilà enfin à la mise à l’eau du port par un beau dimanche après-midi. Il y a un monde fou qui se ballade et qui me regarde éberluer en train de mettre mon bateau à l’eau. Dans mon esprit je n’avais pas envisagé de pêcher dès cette première nuit mais vu que je suis un poil en avance sur l’horaire et la mémorisation des points GPS dans mon sondeur de l’année dernière, m’aide à être très vite opérationnel et de tendre mes dernières lignes sous un couché de soleil resplendissant. Avant de rejoindre ma couchette, j’éparpille environ six à sept kilos de bouillettes Performance Concept Signal sur la zone.

La session est lancée
Dans un autre monde

LA SESSION EST LANCEE

 

            Sans grande surprise cette première nuit sera stérile. La journée sera consacrée à affiner ma stratégie, donc sondage de fond en comble de tout le secteur pour en dénicher les meilleurs spots. Dans ce contexte le crépuscule refait très vite son apparition et ce n’est qu’en fin de nuit vers les quatre heures que j’enregistre ma première touche avec à la clé mon premier poisson. Certes pas énorme mais je suis heureux car il vient confirmer et assembler une partie du puzzle. En milieu de matinée, mon application windy m’annonçait des vents à vingt-cinq kilomètre heure pour la journée…elle ne sait pas tromper et du coup je passerai la journée au bord à l’ombre sous les sapins les pieds dans le sable en attendant le soir que cela se calme. Vingt-cinq kilomètre par heure cela semble peut, mais sur une mer intérieure comme ici les creux des vagues ont vite fait de prendre de l’ampleur et de vous faire danser la carmagnole. 

Le bal est ouvert
Le pied total

Au levé du quatrième jour, une magnifique commune aux couleurs cuivre pose devant l’objectif. Je suis plus que satisfait de cette nouvelle capture réalisée sur un nouveau spot. Ce qui rajoute un élément de plus à mon puzzle. En milieu d’après-midi je suis surpris lorsque l’un de mes détecteurs s’emballe. Je saute immédiatement dans l’annexe et part rejoindre la fugitive qui fait hurler mon moulinet. Le poisson est incroyablement rapide et j’ai bien du mal à revenir à son niveau. Malgré tout après dix minutes je remporte cette manche et je mets à l’épuisette une autre belle commune sous un soleil radieux. Le pied total.

            Après la séance photo, j’en profite pour replacer toutes mes cannes sur leurs points GPS respectifs en vue de la nuit. Côté appât j’utilise pour cette session des Signal de chez Starbaits en vingt-quatre millimètres pour l’amorçage et en esche c’est la même chose mais j’allège cette dernière avec une Scopex Squid vingt millimètres Pink de chez Nash. Ce tandem à toute ma confiance car il m’a apporté bon nombre de très jolis poissons tout au long de ma saison. Donc pourquoi changer ?

 

TOUT BASCULE

 

            Il est environ une heure du matin lorsque je sors de la cabine pour assouvir une envie pressante. En temps normal et en d’autres lieux je serai inquiet au vu de l’heure avancée de la nuit de ne pas avoir enregistré encore la moindre touche, mais là il n’en est rien. Bien au contraire tout reste possible puisque j’ai toujours eu mes touches entre quatre et cinq heures. Je sombre rapidement de nouveau dans un sommeil profond et n’en sortirai qu’au doux bruit d’un de mes détecteurs. Il est cinq heures. 

            Cette fois-ci le combat se fait plus lourd à l’aplomb du bateau, je le sens rapidement, ce poisson est d’un autre calibre. Quelques instants plus tard mes convictions s’avèrent juste en découvrant au fond de mon épuisette une miroir aux formes généreuses. Je suis aux anges et laisse exploser ma joie dans l’immensité nocturne. Elle est rapidement mise en sac et je repars retendre la ligne sur son spot. Au petit matin le jour pointe son nez et alors que j’étais en pleine séance de petit déjeuner face aux premiers rayons du soleil, la même canne s’emballe. De nouveau cela me semble lourd et le poisson me tracte gentiment pendant plusieurs minutes. La Scope donne tout ce qu’elle peut et sous sa courbe généreuse la carpe monte une première fois crever la surface. Je prends un pied fou à lutter contre elle car tous les éléments sont réunis pour savourer cet instant à sa juste valeur. Enfin je glisse cette épaisse miroir dans le triangle. Je n’en reviens pas, après ces multiples galères à tenter de comprendre comment fonctionnait le lac je pense à présent que j’ai peut-être mis le doigt sur un début de réponse en complétant un peu plus le puzzle. Seul regret à l’horizon, mon pote Olivier n’est pas là pour partager cet instant de vie.  

 

Les grosses rentrent en scène
Un poisson incroyable

TE REVOILÀ

 

            Après une séance photo idyllique sous un soleil généreux et les pieds nus dans le sable chaud, me revoilà en position sur le cabine pour passer mon avant-dernière nuit. Rapidement tout est de nouveau en position. Cinq heures, l’heure magique, je suis brusquement tiré d’un sommeil très profond. Dans mon esprit c’est la même canne que la veille qui a démarré à savoir la canne de gauche, diode rouge. Je la saisis et pars tel un somnambule en direction du spot. Arrivé à l’aplomb alors que je prends contact une grande déception m’envahit lorsque le plomb crève la surface sans aucune résistance au bout. Merde, décroché ! Bon il me reste plus qu’à redéposer la ligne. J’allume le sondeur pour retrouver mon point de dépose au GPS et m’interroge en voyant que je suis exactement au-dessus du spot alors qu’en toute logique j’aurais du être légèrement décalé rien que sous l’effet du départ. Je jette également un œil en direction du cabine pour être bien dans l’axe et me rends compte que le pont arrière est légèrement éclairé. Cela doit être le fait que j’ai fait bouger légèrement le bateau en le quittant et cela à du tirer un peu sur les bannières occasionnant de temps à autre un bip ou deux. Je rebaisse les yeux un instant pour placer la ligne et puis je regarde de nouveau en direction du bateau et là je me rends compte que la lumière est toujours allumée à l’arrière. Plus de doute, j’ai bel et bien une autre touche. Demi-tour toute et moteur à fond, je saute sur la canne et part combattre. Il est court et bref, au premier coup de frontale dans l’épuisette je reconnais de suite cette carpe. Je l’ai prise au mètre près l’année dernière. 

            Incroyable sur une telle immensité recroiser un poisson déjà pris me laisse songeur. Il est vrai que je pense peut-être à tort que la population de carpes reste faible mais de là à en reprendre une, alors que mon nombre de prises sur ce lac reste anecdotique m’interroge. D’un autre côté j’ai aussi un grand nombre d’exemples où des gros poissons sur des très grands lacs sont très sectorisés et se font toujours prendre au même endroit. Cela fait partie des mystères de la pêche. 

            Quoiqu’il en soit pour en revenir à cette capture j’ai tout de même bien eu de la chance de la concrétiser. En effet je devais vraiment être dans un monde parallèle, car après analyse alors que je pensais avoir pris la canne du RX rouge, cette dernière était en faite verte et le départ a eu lieu sur le bleu, rien de rouge dans cette histoire.  Rien que d’y repenser je me gratte encore la tête pour savoir comment cela a t-il été possible.

            Au lever du jour en sortant de la cabine, je ressens une méchante douleur derrière le tibia qui va s’estomper doucement au fil de la journée. Je mets cela sur le compte d’une mauvaise position adoptée lors de la nuit dans la couchette. 

 

DERNIERE NUIT

 

            Me voilà à présent dans la dernière ligne droite de la session pour espérer prendre une des géantes. Mais au fond de moi cela n’a plus grande importance car ma semaine est plus que réussie. Je n’en espérai pas tant.

            Même heure, mais une autre canne me voilà parti combattre ce qui sera sans doute mon dernier poisson. Cela n’arrivera pas, car elle s’est décrochée avant que je n’arrive et cette fois-ci je ne me suis pas trompé de canne. Dommage ! Par contre je me rends compte que j’ai un mal de chien à ma jambe en me disant que je suis très stupide d’avoir repris une mauvaise position cette nuit.

            La route du retour en voiture se fait dans la douleur car contrairement à la veille elle ne passe pas. A mon arrivée à la maison, Céline me donne une pommade contre le mal musculaire. Mais il faut se rendre à l’évidence, le lendemain cela ne s’est toujours pas amélioré bien au contraire. La décision est prise deux jours plus tard sous les recommandations de ma femme d’aller chez le docteur au plus vite.

Bien lui en a pris car après une analyse de sang la sentence tombe : Phlébite.

            Comme quoi la pêche peut être dangereuse. Les causes auront été certainement de ne pas avoir bougé du bateau de la semaine, couplé à une chaleur écrasante et un léger manque d’hydratation. Enfin bref après une grosse piqûre et deux mois et demi de traitement tout est rentré dans l’ordre.

 

Pour le reste comme vous le savez « POUR PRENDRE DES POISSONS IL FAUT ALLER À LA PÊCHE »